Jihâd Offensif (jihâd ibtidâ’î) (2) Les quatre préceptes

Jihâd Offensif (jihâd ibtidâ’î) (2)

Les quatre préceptes

Les quatre préceptes sont quatre statuts juridiques qui ont été tirés des branches de la religion et qui sont définis ainsi :

  1. Les prières collectives : les prières de groupe (prière du vendredi, de la fête du Sacrifice, de la fête de la rupture de jeûne, les prières quotidiennes qui s’effectuent en groupe). L’effectuation de ces prières a lieu en même temps que l’exécution d’autres obligations religieuses comme les prêches de la prière.
  2. Les affaires judiciaires, la punition et le jugement : peines et châtiments religieux.
  3. Le jihâd, la guerre sainte, par la croyance et dans l’esprit ou par l’épée et les armes.
  4. Les versements légaux, la collecte et la distribution des richesses ; les versements particuliers exigés par la religion comme l’impôt du khums, l’aumône (zakât).

 Les quatre préceptes ont les particularités suivantes :

  1. Ces quatre préceptes s’effectuent en groupe, ne prennent sens qu’en groupe et ne peuvent s’appliquer individuellement.
  2. Ils ont besoin d’une participation collective, car les décisions politiques et collectives ont besoin d’être connues et de faire connaître les décisions antérieures.
  3. Ces préceptes s’appliquent à différents domaines : social, politique, économique et surtout judiciaire.

La théorisation de la doctrine des quatre préceptes constitue le système de valeurs de l’école de jurisprudence shî‘ite, dont la base vient probablement des Zaydites du Yémen. Ces valeurs, d’après les traditions shî‘ites les plus anciennes, sont applicables uniquement durant la vie de l’imâm et sont suspendues dans leur application en période d’occultation[1].

Les shî‘ites, tant qu’ils avaient accès à leurs guides et imâms historiques, n’avaient pas besoin d’autres sources, d’effort d’interprétation ou de recours à quelque homme capable d’effort d’interprétation (ijtihâd), pour résoudre leurs problèmes.  Durant la vie des imâms, en particulier du cinquième al-Bâqir et du sixième al-Sâdiq (entre 83 et 148/704-769), les gens de différentes classes se référaient directement aux imâms et à leurs disciples directs, leurs soumettaient leurs questions et leurs problèmes à propos des situations de leurs vies, dans le contexte de l’époque. Il existait aussi des savants qui notaient les paroles des imâms pendant leurs vies et compilaient des recueils nommés Usûl ou musannaf [2].

 

Le problème de l’application des quatre préceptes

 La période de la crise du shî‘isme duodécimain commence à la mort de l’imâm Hasan al-‘Askarî, le onzième imâm, en 260/881. Cette période est appelée crise de l’interruption du shî‘isme duodécimain. Car dans cette période périlleuse, les ennemis de cette secte d’un côté, les califes ‘abbâssides de l’autre, faisaient tous leurs efforts pour supprimer l’imâmisme et n’hésitaient guère à appliquer les tortures et les persécutions à leur égard[3]. Les shî‘ites de cette période étaient surtout ébranlés par le fait que le onzième imâm soit mort sans laisser de fils visible[4].

Cette situation n’avait pas seulement encouragé les adversaires de la secte imâmite dans leur hostilité ; elle avait aussi plongé les shî‘ites dans l’anxiété et la perplexité. En conséquence, de telles divergences sont apparues entre eux qu’ils se divisèrent en plusieurs sectes, chacune maudissant l’autre et la qualifiant d’impie. Au début, l’un de ces groupes niait que le onzième imâm ait eu un enfant, un autre affirmait la fin de l’imâmat, un troisième soutenait que le onzième était en occultation et reviendrait plus tard. De cette dernière, un groupe prit le frère du onzième imâm, Ja‘far, pour le nouvel imâm. Un autre groupe considérait que Ja‘far avait été désigné comme imâm par son autre frère, Muhammad, disparu du vivant que son père. Un autre encore croyait qu’il avait été désigné par le dixième imâm lui-même. En raison de leurs prétentions à l’imâmat de Ja’far, ces groupes sont appelés Qat’iyya et Muhammadiyya[5].

L’imâm Hasan ‘Askarî est mort après plusieurs jours de maladie grave le 8 Rabî ‘ al-thânî de l’an 260/881 à Sâmarrâ. Shaykh Mufîd écrit à ce propos : « Lorsque la nouvelle de la mort de l’imâm fut annoncée, Sâmarrâ fut plongée dans le chagrin. Après le lavement du corps et la marche funéraire, le souverain abbasside a donné l’ordre au fils d’al-Mutawakkil, Abû ‘Îsâ, d’effectuer la prière sur le corps de l’imâm »[6]. Selon une autre version, c’est le frère de Hasan al-‘Askarî, Ja’far, qui s’est mis en avant pour effectuer la prière, quand soudain un enfant a fendu la foule, s’est placé devant Ja‘far en lui disant : « Ô mon oncle ! Pousse toi, la dignité me revient plutôt qu’à toi de faire la prière sur le corps de mon père », l’a repoussé et a effectué lui-même la prière sur le corps de son père ». Si l’on admet que ce fut le Mahdî qui fit la prière sur le corps de son père mais qu’il n’a pas été arrêté par le souverain abbasside, alors il faut supposer que ce fut une réunion entre familiers et proches, sans aucun autre participant, de sorte que le Mahdî ait pu apparaître et faire la prière. Il semble que cela ait eu lieu dans la maison même de l’imâm. Par ailleurs, une autre cérémonie aurait eu lieu avec d’autres gens, de manière officielle, lors de laquelle la prière aurait été effectuée par Abû ‘Isâ.        

La naissance, la vie et l’occultation du Mahdî promis font partie des événements importants de l’histoire des shî‘ites et un domaine important de leur pensée religieuse. À tort ou à raison, de nombreuses questions se sont posées et se posent encore sur la naissance extraordinaire du Mahdî, au nom duquel tant d’hommes sont tombés en martyr. Sa vie et son occultation font partie des thèmes sur lesquels les études et les recherches les plus précises sont nécessaires.

Un groupe comprenant le shaykh Mufîd fait remonter le début de l’occultation mineure à la naissance du Mahdî, car il vécut dans une occultation relative durant les premières années de sa vie et seuls quelques amis proches le virent directement. L’opinion de Shaykh Mufîd est que comme l’imâm du temps a eu une naissance cachée et une vie cachée, un petit nombre était au courant de son existence et a tenu celle-ci pour une sorte d’occultation qui est évidemment une occultation relative. Ils comptent donc l’occultation relative de l’imâm à partir de sa naissance et son occultation totale et réelle à partir de la mort de l’imâm ‘Askarî[7].

Après l’occultation de Mahdî, le douzième imâm, le dernier imâm des shî‘ites, les savants et les juristes shî‘ites se sont trouvés face à des questions et des problèmes soulevés par leurs partisans, auxquels ils devaient répondre en tant que savants de la religion. Dans la seconde moitié du quatrième siècle de l’Hégire, les croyants shî‘ites imâmites ont aussi accepté qu’à leurs questions religieuses répondent les juristes, bien qu’ils n’eussent pas le même statut que les imâms, et se sont résolus à demander de l’aide aux juristes en attendant le retour de l’imâm attendu. Malgré cela, des juristes comme Shaykh Mufîd et Shaykh Tûsî n’étaient pas prêts, en leur temps, à accepter cette responsabilité. Par exemple, ces deux juristes n’étaient pas prêts à prendre la part du droit de l’imâm (5% des revenus) ou khums. Shaykh Mufîd, en réponse au problème de la collecte de la part de l’imâm, donna de facto l’instruction que les sommes réservées au khums soient déposées et conservées comme trésor auprès des porteurs du khums jusqu’au moment du retour de l’imâm absent, et qu’elles soient alors données à leur propriétaire originel, c’est-à-dire l’imâm impeccable. Shaykh Mufîd fit alors la proposition, étant donné l’impossibilité de veiller à ces sommes, de les conserver en un lieu sûr ou de les enterrer jusqu’au jour du retour du Mahdî,  où il faudrait alors les lui restituer. Quant à la seconde moitié de ces sommes (les 50% restant), la part du khums échéant aux nobles descendants du Prophète (sâdât), il donna l’instruction de la diviser en trois pour donner le premier tiers aux pauvres, le deuxième aux orphelins et le troisième aux sans-abri[8]. Nous traiterons du thème du khums dans une autre étude à venir, mais voulons seulement rappeler ici que cette théorie n’était pas seulement celle de Shaykh Mufîd mais que Shaykh Tûsî (m. 460/1081), Abû Sahl (405/1014), Ibn Zahrâ al-Halabî (585/1206) ont également suivi Mufîd, de sorte qu’un consensus se fit sur ce sujet et régna jusqu’au septième siècle de l’Hégire (XIIIe EC).    

Comme l’absence de l’imâm Mahdî durait bien plus que prévu et que ses adeptes ne savaient pas finalement ce qu’ils devaient faire avec le paiement de la part du khums, Muhaqqiq Hillî (676/1297) chercha une solution au problème. Progressivement, on s’employa à percevoir et dépenser le khums pour des affaires religieuses. Un tel effort d’interprétation (ijtihâd) de la part de Muhaqqiq Hillî, dû à l’absence prolongée de l’imâm, entraîna des changements dans le rôle des juristes-théologiens dans l’application des préceptes. Il suscita aussi diverses critiques à son encontre : on dit qu’il s’agissait d’une sorte d’interprétation personnelle et que toute interprétation personnelle était un « raisonnement analogique » (qiyâs) et une corruption potentielle de la foi. L’interprétation par raisonnement analogique s’applique quand il n’y a pas de texte explicite (nass) pour un cas précis ; alors le juriste-interprète recherche des cas semblables dans la tradition et en déduit par analogie une règle valable pour le cas présent[9].

À l’origine, les juristes-théologiens revendiquèrent pour eux un rôle dans la résolution des problèmes religieux. Pour donner une légitimité à leur fonction, ils se sont référés à des hadiths transmis. Parmi tous les hadiths importants, il en est un de la part de l’imâm caché, présent dans l’un de ses messages, adressé par le biais de son deuxième ambassadeur  à Ishâq b. Ya‘qûb : « Dans les affaires qui vous posent problème, référez-vous à ceux qui collectent nos paroles, car ils sont une preuve de moi pour vous et je suis une preuve de Dieu pour eux »[10]. Ils font aussi référence à un autre hadith rapporté du onzième imâm par al-Tabrisî : « Il est obligatoire, pour que le peuple suive les juges, que ceux-ci s’abstiennent de commettre tout péché, soient soutenus par la foi contre leurs sollicitations sataniques et obéissent à Dieu »[11]. Selon les hadiths mentionnés, les juristes-théologiens devaient remplir certaines conditions : être transmetteurs de hadiths, informés des lois révélées, justes et épris du vrai. En conséquence du manque de définition des devoirs en période d’occultation, après une attente infructueuse de l’imâm du temps pendant 70 ans, et une seconde période d’attente infructueuse de 140 ans,[12], les adeptes ne sachant pas jusqu’à quand elle devait durer, les affaires des shî‘ites, théoriquement réglées par les hadiths des imâms et l’intervention des juristes dans les affaires religieuses, tombèrent toutes pratiquement entre les mains des juristes, spécialement en ce qui concerne les quatre préceptes.  

Ainsi, après l’occultation du douzième imâm, dans la communauté shî‘ite, deux sortes de vues juridiques, au sujet des affaires judiciaires (qadâ’î), sont venues à l’existence pour les adeptes de l’imâm. Le premier point de vue juridique a été défini par les juristes comme « droit des juristes » (fiqh al-fuqahâ’). Le deuxième point de vue consiste en théories juridiques déduites sur la base des hadiths des imâms sans autre intermédiaire ; il est connu sous le nom de « droit du hadith » (fiqh al-hadîth). Le premier point de vue, connu comme une méthode rationnelle de raisonnement (istidlâl) et d’interprétation personnelle (ijtihâdî), a traité les problèmes juridiques en soumettant les préceptes, les règles du Coran et du Hadith à l’interprétation personnelle, à l’opinion personnelle, aux théories du mujtahid ou du faqîh de l’époque, et créé de nouveaux préceptes à partir de cela. Le second point de vue, lui, fondé sur la transmission et la concentration sur l’origine des hadiths, était celui des traditionnalistes opposés à l’interprétation et à l’opinion personnelle, au contraire des vues du « droit des juristes ». À des époques différentes, des akhbârî (traditionnalistes) comme Mohammed Amîn Astarâbâdî (m. 1033/1624), Mollâ Mohammed Taqî Majlesî (m. 1070/1660), Fayd Kâshânî (m. 1091/1679), Shaykh Hurr ‘Âmilî (m. 1104/1693), Shaykh Yûsuf Bahrânî (m. 1186/1772), déclarèrent en substance à ces juristes tenants du fiqh ou de l’ijtihâd : « Vous n’avez pas la légitimité pour changer quoi que ce soit, d’autant que les imâms historiques ont condamné l’opinion et le raisonnement juridique, disant que personne n’était légitime à avoir la moindre opinion, le moindre point de vue sur ces décrets, tout ce que les imâms ont dit étant vrai, tout ce qu’ils n’ont pas dit étant nul et non avenu ».Ces deux points de vue juridiques sont donc très différents l’un de l’autre. Le premier, utilisant les livres de hadiths et les sources primaires, s’efforçait de transformer le fiqh contenu dans le Hadith et en faisait une interprétation libre (ijtihâd) en se servant du raisonnement analogique (qiyâs) et de l’opinion (ra’y). Le second point de vue se fondait sur le seul Hadith.

La différence fondamentale entre ces deux fiqh dans le shi’isme se résume à la présence ou à l’absence des imâms historiques, les modalités d’application des décrets mentionnée ci-dessus étant différentes entre l’époque de la vie de l’imâm et celle de son occultation ou postérieure à son occultation. Les juristes shî‘ites, qui voulaient introduire la religion dans la politique, disaient aux théologiens et aux partisans du « droit du hadith » : « Bon, maintenant il n’y a pas d’imâm, mais la religion ne s’arrête pas, nous devons nous-mêmes faire des recherches et prendre des décisions pour appliquer les décrets, nous pouvons expliquer les décrets d’après notre opinion et notre propre raison. Ces juristes, tout en prenant leur distance avec les autorités politiques, ne s’interdisaient pas d’intervenir dans tout ce qui concernait l’autorité du droit. Ainsi, le droit s’est mis en ordre, éloigné d’un côté de tout ce qui concernait l’autorité politique, s’adaptant d’autre part aux problèmes qui étaient au goût du détenteur du pouvoir. Finalement, le droit est resté sans théorie politique claire ni programme politique bien défini, et ces deux mêmes théories rationalistes et traditionaliste se sont perpétuées jusqu’à nos jours.                         

Aussi longtemps que les imâms shî‘ites étaient considérés comme les axes et les piliers fondamentaux de la doctrine shî‘ite, toutes les affaires liées à la foi shî‘ite étaient centrés sur la personne des imâms impeccables, et sans le pilier fondamental de l’imâm, cette doctrine ne trouvait plus de sens. En d’autres termes, le shî‘isme imâmite, sans l’axialité de l’imâm, perd son sens. Ainsi, en l’absence des imâms historiques, les questions importantes de la communauté comme celles du guide spirituel, de la guerre sainte, les problèmes économiques et la perception des impôts religieux, sont devenus problématiques et inapplicables. Les plus importants sont les quatre préceptes liés à un certain nombre de problèmes n’ayant de sens qu’avec la coopération ou la participation collective des individus. Concernant les actions légales et cultuelles individuelles comme la prière effectuée en solitaire, le jeûne et d’autres, il n’est pas nécessaire qu’un imâm vivant soit présent pour dire de prier ou de ne pas prier, de jeûner ou de ne pas jeûner, car ces actes cultuels sont une affaire personnelle des hommes qui n’est liée qu’à eux-mêmes. Mais quand une affaire est finalement liée à des actes cultuels communs et reçoit un caractère collectif, leur achèvement dépend de conditions sociales et du consentement collectif, et en l’absence de la collaboration des individus de la société, leur application devient problématique en l’absence de l’imâm et de son délégué nommément désigné. Étant donné que ces préceptes concernent toute la communauté et que leur application est collective, ils nécessitent une guidance qui, dans le shî’isme et par définition, revient à l’imâm vivant. « Selon la tradition originelle, ces prérogatives exclusivement réservées à l’imâm restent « suspendues » (mutawwaqif-al-ijrâ’, sâqit) pendant toute la durée de son absence puisque personne d’autre n’a le droit de les revendiquer. C’est surtout le cas de ce qu’on a appelé les « quatre domaines juridiques » (littéralement les Quatre Préceptes, al-ahkâm al-arba’a) – dont la théorie est probablement d’origine zaydite yéménite -, à savoir : la justice religieuse et les peines légales, la collecte de certaines taxes religieuses, les prières collectives (celles du vendredi et des deux fêtes du sacrifice et de la fin du mois de ramadan) et enfin la guerre sainte. »[13].

La question centrale et la plus importante est que les préceptes sont des affaires collectives, que les imâms historiques ne sont plus vivants, que les délégués nommément désignés l’imâm vivant ne sont pas non plus présents. Le plus important est que « dans le dernier message de l’imâm du temps, il est dit que toute personne qui se proclamerait son représentant sur la place publique serait un menteur »[14]. Sur cette base, comment ces préceptes pourraient-ils être appliqués et sous quelle forme ? 

À l’époque de Muhammad le prophète de l’islam, ces affaires avaient une forme simple, loin de la complexité actuelle. Les problèmes pouvaient être résolus et les questions posées par la discussion face à face. Par exemple, au sujet du jugement (qadâvat), il est rapporté de Shaykh Tûsî que le Prophète avait envoyé Mu‘âdh b. Jabal avec la fonction de juge au Yémen, mais avant son départ, le Prophète lui demanda comment il allait juger dans ce pays. Mu‘âdh b. Jabal lui répondit : « Je me réfèrerai d’abord au Livre de Dieu. Si je ne trouve pas de réponse, j’agirai comme a agi l’envoyé de Dieu, et si je ne trouve toujours pas de réponse, je prendrai la justice comme balance et jugerai d’après mon opinion personnelle »[15].

A l’époque de la vie des imâms, il était une loi générale que les imâms rappelaient toujours, que tout ce qu’ils disaient et faisaient était fondé sur le Coran et la tradition du Prophète et qu’ils ne prononçaient aucun jugement par eux-mêmes au nom de la religion. Dans un hadith que l’on rapporte du cinquième, du sixième imâm,  et du septième l’imâm Mûsâ Kâzim (le septième imâm) : « Agissez-vous d’après vos vues et opinions personnelles ? » Il répondit : « Tout ce que nous disons vient du Coran et de la tradition du Prophète ». Tous disaient : « Nous sommes les héritiers des sciences du Prophète ».

Tant que les imâms étaient en vie, l’effort d’interprétation personnelle ne jouait aucun rôle, mais dès lors qu’ils n’étaient plus présents, nombreux furent ceux qui dirent : « Nous sommes les représentants de l’imâm du temps, nous pouvons décider à sa place et appliquer nous-mêmes les préceptes qui ne sont plus appliqués. » On retrouve là la même question essentielle du devenir de l’application de ces quatre préceptes en temps d’absence des imâms historiques. La réponse à ces questions est des plus importantes pour la recherche, en particulier au sujet de la justice pénale, de la requête judiciaire, de la punition, des châtiments légaux et de l’application des pénalités légales islamiques (notamment des peines héritées de la période antérieure à l’islam comme l’amputation de la main ou du pied, la lapidation et d’autres). La prise de décision sur ce qu’il fallait faire sur ces questions posait problème.

En ce qui concerne aussi les prières collectives (prière du vendredi, de l’aïd qurbân, de l’aïd fitr, etc.), dans le droit imâmite ancien et dans le « droit du hadith », il est dit que l’homme derrière lequel se fait la prière collective, doit être l’imâm. Mais alors, maintenant qu’il n’y a plus d’imâm, que faire ? Puisque l’imâm n’est plus présent pour diriger la prière et qu’il n’a désigné personne pour le faire, les prières collectives n’ont-elles plus lieu d’être ?

Au sujet de la collecte des taxes religieuse (en particulier ceux du khums et de la zakât), dans les hadiths du droit imâmite, il est dit que c’est aux imâms de collecter et de redistribuer ces sommes. Maintenant qu’il n’y a plus d’imâm, comment régler ces sommes dues ? Comme nous l’avons dit plus haut, certains oulémas, après l’occultation, déclarèrent qu’il fallait enterrer ces sommes en attendant le retour de l’imâm du temps pour lui remettre alors ces sommes.

Au sujet de la guerre sainte ou du jihâd, dans le « droit du hadith », il est dit que l’imâm doit être présent pour pouvoir déclarer et  conduire le jihâd, que seul l’imâm en personne peut déclarer le jihâd. Dès lors se pose la question : l’imâm étant absent, que devient le jihâd ? Si l’on nous attaque et si l’on veut nous tuer, que devons-nous faire ? Certains oulémas, s’appuyant sur des références coraniques, émirent des vues autorisant des guerres défensives.

Ce sont des exemples de questions soulevées au cours de la période d’occultation des imâms. L’application de ces préceptes est particulièrement problématique. Dans une religion centrée autour de l’axe qu’est l’imâm, l’absence de celui-ci devait remettre en question toutes ces affaires.

 

Méthodologie

Pour avancer dans cette étude, dans un premier temps, ces quatre préceptes au titre des quatre parties ou des quatre piliers d’un même édifice de pensée, seront distingués et répertoriés ; au sujet de chacun d’eux, les sources disponibles seront utilisées dans deux parties : La première partie utilisera des sources primaires, c’est-à-dire des sources provenant directement ou indirectement de l’époque primitive des imâms, des livres qui furent publiés au cours des premiers siècles de l’Hégire. Ces sources sont généralement en langue arabe. Des traductions persanes et anglaises existantes seront également utilisées. La seconde partie utilisera des sources secondaires, c’est-à-dire des avis et des théories que les islamologues ont développés à partir des sources primaires. Dans cette partie, des livres d’auteurs occidentaux seront utilisés. À ce sujet, par exemple mentionnons le précieux travail de Jassim Husain qui recense toutes les sources écrites au sujet de l’occultation, depuis le début de la période d’occultation jusqu’à la période contemporaine, et qui nous a été très utile et nous a permis d’avoir des repères pour avoir accès aux sources originales datant de la période d’occultation[16].

Dans un deuxième temps, notre but sera d’explorer et de résumer les questions essentielles et centrales relatives au précepte du jihâd qui est le sujet de cette étude. Nous réunirons et étudierons donc les théories d’autorités célèbres et d’auteurs shî‘ites de la période d’occultation, depuis le deuxième siècle de l’Hégire jusqu’à nos jours, portant directement ou indirectement sur ce précepte.

Dans un troisième temps, pour tirer des conclusions et parvenir à une synthèse de cette étude, nous traiterons les dites théories, et tirerons notre conclusion à partir de ces sources premières et secondaire. Nous synthétiserons la trajectoire évolutive que le précepte du jihâd ont adopté sous la domination des savants de chaque époque au cours du temps ; ce que nous montrera ainsi les variations surprenantes que ce préceptes a connues dans leur sein.

L’étude qui suit voudrait être la première partie d’une enquête systématique sur les quatre préceptes, leurs sources et leurs lignes d’évolution respectives, selon quatre parties pour chacun :

  1. L’historique
  2. La typologie Les enjeux et conflits
  3. Les théories et leurs divergences (celles des penseurs musulmans, avant et après l’occultation, étant la base, les avis des auteurs occidentaux étant aussi pris en compte).

 

 

 

 

 

Tableau des axes méthodologiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       
   
     

 

 

 

[1] M.A. Amir-Moezzi et C. Jambet, Qu’est-ce que le shî‘isme ?, Paris, 2004, p. 207.

[2] Muhammad Bâqir Sadr, al-Ma‘âlim al-jadîda, Téhéran, 1395 h., p. 985.

[3] Voir les hadiths des années 145 et suivantes dans la Chronique de Tabarî ; aussi Ya‘qûbî, Târikh al-kâmil, II, p. 444-446 ; Abû l-Faraj Isfahânî, Maqâtil al-tâlibîn, Sharh-e hâl-e ‘Alawiyân, éd. S. A. Saqr, Qumm, 1372 h.s./1993-1994.

[4] Shaykh Tûsî, Kitâb al-ghayba, 1322/1905, p. 360-361, message de l’imâm du temps par la voie de son représentant.

[5] ‘Abd al-Rafî‘ Haqîqat, Ta’rîkh jonbesh-hâ-ye madhhabî dar Îrân, Téhéran, 1375 h.s./1996-1997, I, p. 374-376.

[6] al-Mufîd, Irshâd, III, 13

[16] J. M. Husain, The occultation of the Twelfth Imâm: A historical background, London, 1982.